L' analyse que je vous propose de " TOD & FEUER "( Death & Fire ) reste très personnelle quand bien même elle reprendrait des arguments déjà cités par ailleurs. A n'utiliser que comme sujet de réflexion et non comme référence...
Sur le forum Kandinsklee un internaute apporte sans malheureusement citer ses sources une analyse :
"La mort vue de face, dans le blanc des yeux. Klee se sait malade et mourant. il affronte son destin. C' est un squelette de cendres formé des trois lettres qui forment le mot mort en allemand: TOD. Le bleu gris des épaules et des bras suggèrent le fleuve Styx, là où les morts sont charriés dans la tradition grecque. La main droite est l' horizon au-dessus duquel vient mourir le soleil, à moins qu' il ne s' agisse de la roue de la fortune ou du destin. A droite, portant le bâton de pèlerin, marche l' âme."
Cette approche est louable mais un peu trop synthétique pour celui qui ne lit pas entre les lignes, discutable en certains points, voire un peu trop introspective car si Klee se sait mourant, depuis trois ans déjà, son message se bornerait-il à nous livrer cette oeuvre comme un simple faire-part de décès?
Bien plus probable, Klee nous livre une réflexion personnelle de l' Homme dans sa relation avec la mort, une mort inéluctable que l' on devinera ici comme faisant partie intégrante de la vie.
La vie cette chose étrange dont on sait en regard de l' infiniment grand et de l' infiniment petit, que le soleil en est ici bas le chef d' orchestre. C' est bien le soleil qui figure dans cette toile bien plus que tout accessoire divinatoire ; le soleil cette boule de FEU qui donne la vie, qui rythme le temps, qui s' allume et qui s' éteint par la seule volonté de la main de Dieu ou si vous préférez de la toute puissance à laquelle elle est subordonnée.
Et l' être humain dans tout ça, une forme de vie parmi tant d' autres, doué cependant d' une intelligence, complexe à plus d'un titre, qui chaque jour construit un peu plus sa quête vers l' éternité bien plus pour y trouver sa raison d'être que de vouloir y accéder.
Revenons à ce tableau de Klee tout en gardant à l' esprit ce qui a été dit précédemment ; commençons par ce que tout le monde sait ( ou a appris ) et qui est clairement affiché dans le titre et dans l' oeuvre elle même : le mot MORT en allemand TOD.
En fait, là où tout le monde s' arrête au seul "TOD" défini par les trois éléments ( tracés blancs ci-dessous ) que sont : l' émergence de la terre ( verticale), le soleil ( cercle ), le visage (1/2 cercle ) je me risquerai à dire que ce même mot se retrouve deux autres fois dans le tableau sans laisser place au hasard.
Petite illustration :

Personnellement, je ne pense pas qu' il y ait une quelconque allusion au fleuve Styx, il me semble plus pertinent de voir la Terre comme représentation de cette surface au ton gris-vert ; et si on veut y associer une symbolique, l' Égypte ancienne et sa croyance au dieu Râ, ses pyramides sorties de terre pour tutoyer l' éternité me semblent des éléments plus tangibles pour exprimer une perception pleine d' intériorité.
En l' occurrence ces trois éléments qui forment le mot TOD nous ramènent à cette notion de cycle, où la vie et la mort sont intimement liées. Chaque mort, spirituellement parlant, s' amoncelle et contribue un peu plus à comprendre la vie sans jamais avoir suffisamment de hauteur, à l' inverse du soleil, pour la cerner complètement.( à noter que le soleil est entiérement circonscrit)
On retiendra que la mort est un maillon de la Vie et que si la Vie continue la mort n' est pas une fin en soi.
Klee ne disait-il pas lui-même que " le monde objectif qui nous entoure n' est pas le seul possible ; il en existe d' autres, latents. " ou encore " L' art est à l' image de le création. C' est un symbole, tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos. "
Cette dernière citation ne peut que mieux coller à l' oeuvre.
Soleil couchant, ambiance crépusculaire, le jour va laisser la place à la nuit, au néant, à la mort, à la fin d'un cycle. Précédant le rayon vert, la lumière de feu, éclaire ce visage blafard signe et signé de la mort ; un trident venu du " cosmos " ( la main de Dieu ou de la toute puissance (voir plus haut) ) indique que le moment est venu et pousse un peu plus ce visage décharné mais encore lucide à rejoindre son corps qui épouse déjà la Terre. Simultanément l' homme comprend cette fin inéluctable et s' en remet à sa conscience matérialisée par ce personnage stylisé qui l' accompagne dans sa dernière demeure. Ce petit personnage dont le visage n'a pas de trait et dont le corps est sans substance(et pour cause) va au devant de ses traits, de son destin. L' acceptation est en marche, la raison se plie à une fin annoncée et inscrite dans l' ordre des choses...

Sans doute l' oeuvre de Klee la plus achevée dans ce thème récurrent de la mort propre aux trois dernières années de sa vie. Tous les fondamentaux de l' oeuvre de Klee y sont présents : mouvement, lignes, symboles, signes , simultanéité, cohabitation de l' infiniment petit et de l' infiniment grand...

jean-jacques blancardi©Point de Vue & @rtweb