Commentaire du tableau: Révolution du viaduc
 
       
1937, 153; Revolution des Viaductes
Huile sur fond d'huile sur coton sur châssis à coins, 60 x 50 cm
Hambourg, Hamburger Kunsthalle
   
Projet de pont d'autoroute sur la Werra par Fritz Tamms
(L’Art et le 3e Reich, 1941 )

En 1937, Paul Klee créait l'un de ses tableaux les plus célèbres. Cette oeuvre se trouve aujourd'hui à la Kunsthalle de Hambourg. Les critiques sont unanimes pour voir dans ce tableau une oeuvre à portée politique et historique, mais leurs interprétations sur sa signification divergent.

C'est en 1937 aussi qu'eut lieu à Munich l'exposition " Art dégénéré ". Cinq tableaux à l'huile, neuf aquarelles et trois dessins de Klee y étaient exposés.
102 de ses oeuvres furent ensuite saisies et retirées des collections publiques. Klee n'a jamais pris position dans ses écrits sur ces deux actions.

1937 enfin est l'année où Klee se remit à peindre après une interruption d'un an imposée par la maladie. L'oeuvre à laquelle, durant cette année-là, il consacra le plus d'énergie fut Révolution du viaduc. Il y eut cinq versions autour de ce thème. Nous avons retenu ici la dernière de ces versions. Klee ne l'exposa jamais. C'est en 1940 que le public découvrit le tableau pour la première fois, à l'occasion de l'exposition commémorative de Berne.

Le fond de ce petit tableau rectangulaire est d'un bleu relativement uniforme; il prend par endroits seulement une nuance violette.

Se détachant sur ce fond, des arcades de tailles et de couleurs différentes s'avancent vers nous. Mais au lieu de se présenter à nous dans un alignement régulier, elles forment un assemblage désordonné.

L'inégalité de leur taille et la diversité de leurs couleurs viennent accentuer cette impression. Les critiques pensèrent longtemps que Klee avait illustré de cette façon la menace que constituent les mouvements totalitaires.

Les arcades s'avancent ainsi, porteuses de funestes promesses vers le spectateur (Geelhaar), un monde arrivé à maturité se voit piétiné et détruit (Haftmann) et Schmidt y voit la marche fracassante de cohortes brunes.

Werckmeister a, dans un article paru en 1987, mis en doute avec raison, ces interprétations. Les arcades jaunes, oranges, roses et rouges dont les unes sont trapues, les autres élancées, dont d'autres encore présentent des piliers de diamètres inégaux ne symbolisent pas «un mouvement totalitaire». Ce genre de mouvement a en effet pour caractéristique entre autres, précisément, l'uniformité et le conformisme et exclut toute individualité. Or ce tableau représente manifestement des individus dont aucun n'est semblable à l'autre.

Klee avait intitulé l'avant-dernière version: «Arches de pont qui se singularisent». Ce titre d'un dessin très proche de notre tableau évoque le refus d'un ordre établi. Les ponts avaient pris, grâce à la construction d'autoroutes, une place importante dans l'architecture du national-socialisme. Leurs arches bien alignées et de taille régulière symbolisaient la conformité. Mais les arcades représentées par Klee refusent de jouer ce jeu. Elles se défendent d'être plus longtemps uniquement un maillon de la chaîne et chacune d'entre elles cherche à exister pour elle-même. Chacune pour soi, et nullement au pas, elles viennent à la rencontre du spectateur. Elles sont conscientes de leur supériorité numérique et si elles cherchent à piétiner quelque chose, ce ne peut être que l'ordre qui les avait contraintes à la conformité.

Le tableau, avec la menace qui s'en dégage, est une déclaration de lutte contre ce national-socialisme, qui avait réussi à réprimer tout refus de se laisser mettre au pas et ainsi toute individualité dans l'art.