L'Angélus
architectonique de Millet
1933
Huile sur toile,
73 X 60 cm
Perls Galleries, New-York
Dans son livre, Le Mythe tragique de l'Angelus de
Millet, écrit en 1938, mais publié seulement en 1963,
Dalì appliquait son procédé d'interprétation paranoïaque-critique
au tableau de Millet " analysant " le tableau en termes d'associations
personnelles, irrationnelles et obsessionnelles, produites par les éléments
distincts qui le composent. Il devina ainsi un réseau de significations
cachées. Pour Dalì, dans L'Angélus, la fourche plongée
dans la terre " descendant avec
une avidité résolue pour
la fertilité ", signifie la pénétration sexuelle mais,
par association supplémentaire, évoque aussi un scalpel employé
pour la dissection. Ainsi, par des processus paranoïaques irrationnels, le
sexe et la mort sont connectés. Pour Dalì, la posture du couple
de paysan confirme son interprétation. L'homme "essaie de cacher son
état d'érection
par la position honteuse et compromettante
de son propre chapeau " . La pose de la femme est identifiée à
"la très libre perforation de la mante religieuse ", allusion
à l'habitude de l'insecte de dévorer le mâle après
la copulation. Les poignées de la brouette, derrière la femme, sont
un écho à l'attitude de prière de la mante religieuse. L'Angélus
figure dans plusieurs tableaux de Dali entre 1932 et 1935, y compris dans Méditation
sur la harpe, Gala et L'Angélus de
Millet précédant l'arrivée imminente des anamorphoses coniques,
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.architectonique de Millet
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Témoignage du peintre Marcel Jean : " Vers 1933, il transforma l'Angélus de Millet en un vrai geyser d'images associatives : il avait découvert que le personnage de gauche cachait sous son chapeau son sexe en érection, que la femme était enceinte, que la brouette évoquait une posture amoureuse, que la fourche était enfoncée dans la 'viande' de la terre nourricière, (...) que ces significations étaient à l'origine de la célébrité du tableau et non son apparence de banale image religieuse"
Dans ce tableau, au lieu de se transformer sous l'effet de l'interprétation
paranoïaque, L'Angélus qui joue un rôle important dans l'uvre
de Dalì au début des années 30, est reproduit avec peu de
changements et fonctionne comme point de départ d'une chaîne d'associations
irrationnelles. Dalì copie le tableau de Millet en élargissant ses
dimensions de telle manière que l'espace compris entre les personnages
et à chaque extrémité de la scène soit plus grand
que dans l'original et occupe toute la largeur de l'encadrement de la porte au-dessus
de laquelle il est accroché. Le premier lien qui s'établit est le
personnage de Maxime Gorki qui se cache derrière la porte. uvre du
romancier russe Gorki a ceci de commun avec celle de Millet qu'elle est centrée
autour de la vie des pauvres et rendue avec un puissant réalisme. Lorsque
Dalì exposa un jour un téléphone dont le récepteur
était surmonté d'un homard, Breton expliqua qu'il s'agissant d'une
évocation artistique du mécanisme automutilant entrepris par Van
Gogh sur son oreille. L'observation de Breton mettait à jour une association
de nature paranoïaque entre les homards et les oreilles. La présence
d'un homard sur la tête de Gorki indique donc ici qu'il écoute à
la porte. La personne assise dans la chambre dos à la porte est Lénine
avec qui Gorki fut impliqué comme propagandiste au moment de la Révolution
de 1917. Face à Lénine, Gala .
Inexplicable selon des moyens logiques, cette uvre illustre la façon dont le raisonnement paranoïaque-critique systématise une succession délirante d'éléments, avec pour résultat une composition d'une "irrationalité concrète de la même épaisseur persuasive, connaissable et communicable que celle du monde extérieur de la réalité phénoménale".
Ce tableau est l'un des premiers exécutés entre 1932 et 1935
où, comme cela avait été le cas pour la légende de
Guillaume Tell , L'Angélus de Millet était mêlé aux
obsessions personnelles de l'artiste tout en fournissant un support pour l'exploration
de ces obsessions. Par le biais de l'association paranoïaque-critique, Dalì
interprète le tableau de Millet et lui donne un sens irrationnel de façon
analogue à la formation de l'hallucination chez les paranoïaques.
L'obsession de Dalì pour L'Angélus remonte à l'enfance. Une
copie du tableau était accrochée dans le couloir qui menait à
la salle de classe et il a décrit ce que l'uvre produisait : d' "obscures
angoisses, si poignantes que le souvenir de ces deux silhouettes immobiles m'a
poursuivi pendant plusieurs années avec le constant malaise provoqué
par leur présence continuelle et ambiguë". Dali attribuait la
cause de sa névrose sexuelle au "faux souvenir" d'un acte de
fellation qui impliquait sa mère. Cette angoisse est présente dans
Méditation sur la harpe. Dalì montre le couple de paysans enlacés,
la femme nue, l'homme tenant son chapeau de manière à dissimuler
tout en révélant ce que Dalì identifiait comme un état
d'érection. Une troisième figure vêtue de noir occupe le premier
plan, le coude se prolongeant dans une forme où on distingue le rictus
d'un crâne anamorphose. En termes psychanalytiques, les dents sont un symbole
lié au sexe et cette protubérance évoque également
un "déplacement" du phallus du paysan. Freud décrivait
le déplacement comme un des mécanismes du rêve destiné
à transposer des idées perturbantes sous une forme inoffensive.
L'excroissance du coude fait donc s'apparenter le sexe et la mort, ce que vient
confirmer le soutien de la béquille, symbole dalinien de la mort et de
la résurrection.