Pour Kandinsky,
les gravures sur bois correspondirent à ses premiers pas vers l'autonomie
artistique. Pour la première fois, il osa y exprimer et y appliquer ses
conceptions et ses idées. Quelques tableaux importants de cette époque
aux thèmes féériques et romantiques, tels que la peinture
à l'huile Couple de cavaliers
(ou Couple à cheval
) profitèrent de la technique, du style et du mode lyrique des gravures
sur bois. De multiples petites taches de couleur scintillent comme des pierres
précieuses sur un fond bleu obscur que Kandinsky utilisa fréquemment
dans cette série de tableaux. Ces touches légères suggèrent
une ville au bord de l'eau dont les coupoles rappellent le vieux Moscou, ainsi
qu'un paysage imaginaire où passe à cheval un couple étroitement
enlacé. Ce tableau nous rappelle les descriptions que faisait Kandinsky
de «sa» ville natale, son amour éternel pour la «Mère
Moscou» et en même temps, les illustrations de style Art nouveau de
ces années-là qui inspirèrent l'artiste pour la réalisation
de ses gravures sur bois. Nous y retrouvons également une composition de
structure ornementale ainsi qu'une simplification et une stylisation des éléments
figuratifs. L'effet produit par les couleurs est prodigieux au premier coup d'oeil
et témoigne de la concentration de Kandinsky sur des impressions hautes
en couleurs et leur étroite relation avec des valeurs impliquant un état
d'âme. Dans les études de paysages, on retrouve cette même
façon d'utiliser les couleurs, par petites touches épaisses et lumineuses.
Mais alors qu'elles se fondent dans ces paysages, elles semblent ici flotter dans
le tableau, ce qui accentue l'atmosphère de monde imaginaire, le sentiment
de détachement du quotidien donné par le tableau.
La grande peinture à la détrempe La
vie en couleurs , qui fait partie des oeuvres les plus importantes
de Kandinsky à cette époque, témoigne également
d'un attachement très fort à la mère-patrie russe, sublimée
par le mythe. Au premier coup d'oeil, on a l'impression qu'une foule bariolée
se promène sans but dans un paysage automnal que domine une colline surmontée
d'une ville somptueuse. Peu à peu, le regard décèle des
groupes de motifs plus précis ainsi que des directions définies
par le mouvement, et l'on commence alors à comprendre pourquoi Kandinsky
n'a attribué la notion de «composition» - à ses yeux
la meilleure que l'on puisse s'imaginer - qu'à un nombre d'oeuvres très
restreint. Une «composition» se doit en effet de représenter
des éléments multiples: l'ensemble des aspects temporels et spirituels
de la vie en Russie, passée et présente, aspects qui touchent
à la mort et à la foi en la résurrection tout autant qu'aux
luttes d'ordre intellectuel et aux «petites joies» du quotidien.
Ces thèmes se retrouveront plus tard et sous d'autres formes dans les
tableaux de Kandinsky.
La répartition tout à fait libre des personnages dans le tableau,
leur disposition aboutissant à une texture régulière de
la surface ainsi que les touches de couleurs qui semblent flotter sans tenir
compte des contours de l'objet, témoignent d'une volonté d'abstraction
très résolue. Les efforts déployés par Kandinsky
aussi bien dans cette scène que dans d'autres «scènes russes»
similaires pour faire ressortir les éléments typiques et essentiels
non seulement à travers les motifs, mais aussi par l'emploi de formes
et de couleurs d'interprétation personnelle sont bien perceptibles.
